Derrière le bruit, le vide (- et puis le RN)

Certains tapages et excès de bruit auraient-ils lieu si le Vieux Cahors était plus habité ? Un billet d’alerte sur le spectre du vide en ville (et non, les étrangers ne sont pas le problème).

Il y a tout une littérature d’experts de l’urbain qui font un rapprochement entre les cassures urbaines de diverses natures dans différents pays occidentaux et la montée du populisme et de l’extrême droite. Il suffit d’ailleurs de simplement regarder les cartes électorales pour s’en assurer.

Je ne suis pas une experte professionnelle de l’urbain, mais dans mon temps libre j’y consacre beaucoup d’énergie et de temps depuis quelques années, et livres et articles sur ce sujet se sont empilés sur mes étagères de bibliothèque.

Vivre en ville est un acte très conscient chez moi. Pouvoir aller chercher son pain tous les jours à pied dans un cadre urbain agréable est signe de civilisation : cette civilisation-là est en train de péricliter.

Vide en centre-ville et montée de l’extrême droite: phénomènes liés

Après toutes ces années, j’en suis venue à conclure qu’il y a une relation étroite entre la dégradation des centres urbains en France, notamment en région Occitanie, et la montée du Front/Rassemblement National.

Ma famille maternelle venant de cette région que je fréquente beaucoup et connais depuis que je suis enfant, je peux témoigner que le pourrissement de centres-villes depuis deux ou trois décennies comme Béziers, Perpignan, Carcassonne etc est allé de pair avec la montée du Rassemblement National, qui y a gagné des mairies et/ou envoie désormais des députés à l’Assemblée Nationale. Pour en général ne rien régler – bien au contraire.

Rien dans les analyses sérieuses de la question urbaine ne corrobore le discours d’extrême droite, entré dans les mœurs comme une fausse « évidence », selon lequel c’est l’arrivée des « étrangers » qui pose problème et crée l’ « insécurité » en centre-ville.

Les causes remontent plus loin : la fuite des classes moyennes des centres-villes et la destruction du commerce dans un contexte de développement du tout-voiture, et du pavillon-piscine ;  le déploiement excessif des grands centres commerciaux en périphérie urbaine, suivi du développement du e-commerce ; le désengagement des édiles et la dégradation des services publics – souvent en combinaison avec corruption et mauvaise gestion.

La paupérisation et l’abandon des centres-villes historiques en sont la conséquence.

Y restent les plus démunis : « cas sociaux » « blancs », et Français de plein droit d’origine immigrée pauvres. Ceci provoque en retour un effet repoussoir qui renforce les réactions de rejet menant au vote d’extrême droite et accélère les phénomènes de fuite et de ségrégation urbaine. Bref : nous voici face à un cercle vicieux.

Après une telle descente aux enfers, difficile pour une petite ville de remonter la pente, comme l’attestent la persistence des problèmes graves de centre-ville dans les villes sus-mentionnées.

Cahors: il est encore temps d’agir

Cahors m’a semblé relativement épargné par ces tendances, en partie grâce aussi à une municipalité qui a manifestement beaucoup travaillé ces dernières années. Mais Cahors n’échappe pas aux phénomènes décrits plus haut.

D’où mon appel à un sursaut tant que les choses ne sont pas totalement dégradées et hors de contrôle à une époque où les tendances décrites ci-haut s’accélèrent.

Je suspecte qu’il y a, ici aussi, une corrélation entre le sentiment très partagé par beaucoup de résidents cadurciens d’une dégradation de l’ambiance en centre-ville et la poussée frontiste à Cahors et dans le Lot lors des élections européennes et législatives cette année.

La façon de fonctionner de la municipalité – et des autres acteurs du territoire comme la préfecture ou le département - n’est plus adaptée. Il sera nécessaire de développer une stratégie plus visionnaire, plus énergique et pro-active pour préserver le centre-ville cadurcien.

Le bruit, signal d’alarme face au vide

Après cette longe digression, retour donc au sujet central de ce blog : le bruit.

Le bruit dont je parle en priorité sur ce blog est pour moi clairement le symptôme d’un vide qui s’installe au coeur de la ville.

Les « incivilités » sonores comme décrites ici ont souvent lieu dans des bâtiments laissés à l’abandon, ou semi-abandon et/ou non-entretenus.

Dans ces bâtiments « pourris » résident des personnes reléguées là : par les services sociaux, par dépit, via squat….Il y a donc au départ un problème de politique sociale et de politique du logement. Ensuite il y a un problème de rénovation et d’espace public.

Le fait que les problèmes trainent pendant des mois et années montre que les outils déployés par les autorités en charge de l’habitat, du social, du patrimoine etc sont inadéquats.

Ou bien cela veut dire que le sujet laisse fondamentalement indifférent les personnes qui font pression sur les élus, et donc les élus.

L’un d’ailleurs n’exclut pas l’autre.

Les deux vidéo ci-dessous sont tout à fait représentatives. Elles ont été prises cet été dans deux ruelles du Vieux Cahors où je passe souvent et où j’entends souvent ce même vacarme au même endroit.

Ce bruit, qui cache un vide, crée du vide. Car qui, qui ne soit pas une personne sans moyens de contrer l’incivilité (problèmes d’expression, de dialogue, de santé), d’alerter les autorités, et/ou de partir, veut vivre à côté d’un tel bâtiment ? Pour que ce problème persiste dans la durée, c’est que soit il n’y a (plus) personne autour, soit les voisins sont des personnes sans défense dont les besoins sont ignorés.

Ah, et puis il y a les AirBNB.

Il y a des moments où par exemple la rue Joffre, où je n’habite pas mais qui est très proche de mon lieu d’habitation, semble vide - surtout en dehors de la saison touristique: de nombreuses fenêtres restent souvent sombres le soir.

Rue Joffre, été 2024. Cadenas pour logements en location saisonnière.

Devant l’une des belles maisons anciennes de la rue sont suspendus aux gouttières trois grands cadenas contenant les clés d’appartements loués de manière saisonnière…. Tout est dit!

Et pourtant, quel vacarme par moments peut sortir des fenêtres de cette rue !

Abandon donc, ici aussi.

Des propriétaires, ayant souvent grandi en centre-ville, pas mal lotis, vivent désormais ailleurs et font de ces appartements une source de rente foncière facile. Certains gens de passage ne respectent pas leur environnement, ou ne le comprennent pas. Le propriétaire absent est indifférent. Le centre-ville joue le rôle ici de coulisse qu’on exploite commercialement, pas de lieu de vie. La municipalité y regarde-t-elle de plus près?

Enfin, pour revenir aux événements de type Mets Jeudis. Si un nombre plus important d’élus et de personnes influentes dans l’économie et le commerce local vivait dans le centre-ville historique, aurait-on permis ce genre d’événement ? Je me permets d’en douter.

Il n’est manifestement venu à l’esprit de personne de demander à la population locale si un tél événement était bienvenu. On considère probablement que les nombreux faibles (personnes âgées) et démunis (beaucoup de fragilité sociale) qui vivent dans ce Vieux Cahors aux allures fantômatiques en dehors de la saison touristique n'ont pas voix au chapitre. Pire : probablement qu’on n’y pense même pas ! Ils n’existent pas: ce sont des fantômes.

Voilà donc comment on crée du vide.

Conclusion? Les tapages et autres excès de bruit sont un signal d’alarme que les autorités ignoreront à leurs risques et périls.

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